Profits. Les premiers de cordée du CAC 40 enfilent leur gilet en or.
Article de l'Humanité du Jeudi 10 Janvier 2019
57,4
milliards d’euros ont été dépensés en dividendes et rachats d’actions,
l’année dernière, par les 40 plus grandes sociétés cotées en Bourse en
France, établissant un nouveau record absolu. Les salariés et
l’investissement sont les grands perdants de ces choix financiers.
Les
entreprises du CAC 40 n’ont jamais autant choyé leurs actionnaires.
Selon la Lettre Vernimmen, une publication spécialisée des milieux
d’affaires citée hier par les Échos, 57,4 milliards d’euros ont été
dépensés en dividendes et rachats d’actions l’année dernière par les
40 sociétés cotées, établissant un nouveau record absolu. Le dernier en
date remontait à 2007, juste avant l’éclatement de la crise financière,
avec 57 milliards d’euros distribués à l’époque. La performance de 2018
n’est donc pas anodine : « Les géants du CAC 40 ont enfin tourné la page
de la crise financière », note le journal les Échos.
Si la générosité envers les actionnaires explose cette
année, avec une hausse de 12,8 % par rapport à 2017, et surtout + 62 %
par rapport au creux de 2009 (35,3 milliards d’euros distribués aux
actionnaires), cela va de pair avec une forme olympique pour les
bénéfices des sociétés concernées en 2017 (année de référence pour la
distribution des dividendes en 2018), qui ont grimpé de 18 % en un an.
Au total, près de 60 % de ces profits ont été redistribués aux
actionnaires. Indice d’une année hors norme pour les détenteurs de
capital, chaque société du CAC 40 a acquitté des dividendes l’an
dernier, ce qui n’était pas le cas les années précédentes. Mais
certaines ont contribué plus que d’autres à ce record. En haut du
podium, Total a versé à lui seul 10,1 milliards à ses actionnaires en
dividendes et rachats d’actions. Suivent Sanofi (4,8 milliards), BNP
Paribas (3,8 milliards), Axa (3 milliards), LVMH (2,8 milliards),
L’Oréal (2,5 milliards) et Schneider Electric (2,1 milliards). Ces sept
sociétés représentant à elles seules plus de 50 % des sommes versées aux
actionnaires par le CAC 40 l’an dernier.
Seulement 5,3 % des bénéfices sont redistribués aux travailleurs
En pleine crise des gilets jaunes, une telle débauche
d’argent scandalise à gauche. La France insoumise, le PCF, Génération.s
ont dénoncé un pactole indécent au moment même où le pouvoir a
péniblement consenti un plan de mesures pour le pouvoir d’achat de
10 milliards d’euros qui ne mettra pas ou que très peu à contribution
les entreprises, et que le moindre « coup de pouce » au Smic a été
refusé. « Tandis que les bénéfices et les dividendes battent des
records, le versement de primes est laissé au bon vouloir des sociétés
et les principales mesures consistent en des défiscalisations,
c’est-à-dire qu’elles seront financées par les contribuables et non par
les entreprises, alors qu’elles ont un rôle fondamental à jouer pour la
réduction des inégalités », pointe Pauline Leclère, de l’ONG Oxfam, à
l’origine d’un rapport l’an dernier sur les bénéfices du CAC 40.
Selon cette étude intitulée « CAC 40 : des profits sans
partage », plus de 67 % des bénéfices réalisés entre 2009 et 2016 par
les principales sociétés cotées en France sont allés aux actionnaires,
contre seulement 5,3 % aux salariés, et 27,3 % à l’investissement dans
l’entreprise. « La tendance n’a pas changé, les salariés et
l’investissement sont toujours les grands perdants de ce partage inégal
des bénéfices », constate Pauline Leclère, qui rappelle les
recommandations d’Oxfam pour « un partage plus équitable des richesses
dans l’entreprise », formulées à l’occasion de la loi Pacte :
encadrement des dividendes et transparence des écarts de salaires.
Au-delà, « cette question cruciale du partage des bénéfices dans les
grandes entreprises doit faire l’objet d’un point central dans le “grand
débat” national » annoncé par Emmanuel Macron, estime la responsable de
l’ONG.
Des sociétés s’endettent pour rémunérer leurs actionnaires
Pour l’instant, cela n’est guère prévu. Signe que le sujet
embarrasse, la Lettre Vernimmen anticipe la critique, en affirmant que,
« contrairement au sophisme et au poncif (sic), aucun groupe n’a dû
réduire ses investissements pour verser un dividende. Aucun n’a dû
s’endetter au-delà du raisonnable (re-sic) pour verser un dividende ».
Une assertion à laquelle les Économistes atterrés ont déjà répondu sur
leur blog, l’an dernier. « Dividendes et rachats d’actions
représentaient 19 % de l’excédent net d’exploitation (l’ENE, en résumé :
les profits diminués de l’amortissement des investissements passés –
NDLR) en 1990, puis 39 % en l’an 2000 et 70 % aujourd’hui, y écrit le
chercheur à Lille-I, Michaël Lainé. Autant dire que, de plus en plus,
les entreprises sont contraintes de s’endetter ou de vendre leur outil
de production afin de rémunérer leurs actionnaires. » Ainsi, en 2011,
« alors que les profits avaient baissé de 10 %, les entreprises ont
augmenté les dividendes de plus de 15 % et sacrifié du même coup leur
capacité à investir en la réduisant de plus de 38 % », indique Pauline
Leclère.
« Du point de vue des actionnaires, l’entreprise n’a
qu’une fonction : créer du cash », rappelle de son côté Matthieu
Montalban, membre des Économistes atterrés. Dans cette logique,
investissement et dividendes en viendraient presque à se confondre
puisque, « selon cette vision, l’intégralité de la trésorerie qu’elle
génère appartient aux actionnaires. Qu’elle soit redistribuée ou
réinvestie dans l’entreprise, c’est toujours du patrimoine de
l’actionnaire », décrypte cet enseignant-chercheur à Bordeaux. Or, non
seulement cela est une « erreur sur le plan juridique », mais de
« nombreux travaux aux États-Unis ont montré que la hausse des
dividendes et des rachats d’actions a bien eu pour effet de rationner
les capacités de recherche-développement des entreprises ».
Sébastien Crépel
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