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SOUVENIRS RACONTES PAR FRANCOIS FREBAULT

Notre camarade François Frebault, a entrepris de raconter sur Facebook ses souvenirs.

Nous publions ici ses premières pages sur la seconde guerre mondiale, en espérant qu'il continuera à narrer les épisodes d'une vie riche d'engagements et d'humanité.

 
J'suis né quatrième enfant sur six dans une maison sans eau, sans chauffage, toilettes au Jardin à côté d'un étang de 800m2 et d'une ferme de quatre-vingt quinze , bosselée de terre à demi en friches, en acoinchons dans des croûtes . Point de bons chemins, rien que des mauvaises routes. En Juin 1940, c'était la débâcle. Nos Parents , nos voisins ont formé un convoi de cinq ou six voitures attelées d'un cheval chargé d'affaires essentielles . Nous partons de St Léger-le-Petit ( département du Cher ) sur la route en direction de Précy, Après une dizaine de Kilomètres : des avions boches au dessus de nous. Il y a la forêt de chaque côté de la route , on s'y retire quelques instants, puis la peur s'installe parmi le groupe. Surtout que le bruit des détonations nourries s'entendait pas très loin devant nous. Décision est prise de faire demi-tour, nous retournons dans nos maisons. Quelques jours plus tard, arrive un détachement de cavalerie boche qui s'installe dans la ferme de Mr Michel Morin ( Maire communiste de St Léger le-Petit ). Ils occupent les écuries, jusqu'au début juillet je pense ! Un jour, je m'étais approché d'eux pour voir. Un soldat s'approche et me tend un carré de chocolat. En refusant, je cours vite chez moi. A 9 ans, je n'avais dans la tête, que les récits entendus de mon père qui avait subi la grande boucherie 1914 - 1918 .

Un peu plus tard sont arrivés les tickets de pain, les tickets pour la viande, les vêtements, le tabac, le vin. C’était les restrictions : en 1941, 150g de pain par jour. Pour un J3 c'était trop peu. En 1942, j'allais pêcher à minuit quelques poissons au carrelet dans l'étang. On mangeait les hérissons, les écureuils, mais il fallait vingt peaux d'écureuil pour avoir un pneu de vélo. Puis, on a vu venir les boches, une ou deux fois pour embarquer les vélos.
1943 : mon frère aîné était apprenti charcutier à Lyon. Comme les boches envahissent la zone sud, l'apprenti a pris son vélo jusqu'à Marseille puis a gagné l'Algérie. Ensuite il s’est retrouvé dans l'aviation à Blida, est revenu en 1945, les deux jambes coupées. Mon frère, le deuxième, au moment du STO est entré dans la Résistance et s'est cantonné en face des boches de La Rochelle puis a terminé en occupation en Allemagne .

En 1943, mon père achète une vache que l'on met chez notre voisin paysan qui en a six. Je dois quitter l'école pour garder les 7 vaches. Ca me fera l'occasion de ne plus chanter « Maréchal nous voila devant toi le sauveur de la France » puis de construire une écurie pour la vache !

L'écurie construite, on y met la vache qui s'appelle Barrée, puis une chèvre, Migloune, et un porcelet, que l’on aurait nommé Darlan. Mon père a loué le petit enclos à côté, mais insuffisant pour nourrir une vache. Je la gardais au bord des chemins et jusque dans la forêt. Mon frère N° 3 avait 15 ans à l'automne 1943. Nous allions couper du bois aux abords des rives de la Loire. Un matin sur le chemin, nous arrivons face à un chef d'une compagnie boche qui dans le pré à côté, en ligne de front ratissaient sans doute pour voir s'il y aurait des traces de pas de résistants dans la rosée, sur l'herbe.
Avec nos outils sur les épaules, le chef nous demande où on va ? Couper du Bois . Il répond « Bien! » Et on continue notre chemin. Nous n'avons pas montré le degré de notre trouille ! Nous savions que le groupe de résistants du secteur était très mobile. Ils ont sûrement jeté un oeil dans la cabane-bergerie où le groupe dormait certaines nuits. Heureusement que nous n'avons pas paniqué ! Nous avons coupé le bois, petit casse-croûte autour d'un feu, et sommes rentrés le soir ; ma soeur avait dix ans, et mon petit frère quatre ans. Alors le frère de quinze ans est parti travailler dans les fermes alentours, pas payé mais dissimulé. En somme, le pain était insuffisant, on a bien essayé de moudre du blé dans le moulin à café mais le débit étant trop faible , on a renoncé. Griller de l'orge pour remplacer le café là oui ça a été. Le père donnait ses ordres et des raclées aussi, quand je n'étais pas rentré à l'heure. Il y avait beaucoup de travail pour moi, mais je restais pragmatique, malgré tout.


Là, je ne me souviens pas la période exacte, mon père travaillait à la scierie des Radis à St Léger à 3 km. Il y avait une espèce d'angoisse dans cette maison d'entendre ce qui se disait entre mes parents. Moi, je ne comprenait pas, puis deux ou trois jours après j’ai compris qu'il y avait une convocation pour se présenter à la Feld Kommandantur de Bourges. C'est à 50 Km. Le Jour J, il me dit : « Tu viens avec moi. «  Et nous partons en bicyclette, heureusement trajet assez pat. Arrivés là bas, il me dit : « Tu m'attends ». Là c'était à côté de l'hôtel Jacques-Coeur. Je ne me souviens pas combien de temps j’ai attendu, mais il est revenu et nous sommes repartis à la maison. Ca a fait 100 Km de bicyclette ! Ce qui se passait, c'est que dans les usines, les chefs d'entreprises, les chefs du personnel étaient contraints d'établir des listes de personnes pour le STO, pour aller travailler en Allemagne. Je pense que mon père avait refusé d'être inclus dans la liste , ce qui nous a valu ce voyage. Pour un ancien, qui a participé à la grande boucherie de 14 – 18, il était entre être arrêté ou prendre le maquis. Mais ça s'est estompé. Chaque soir, à la nuit tombante , des vagues de forteresses bombardiers américains, dans un bourdonnement ahurissant passaient au- dessus de nous, pour aller anéantir les villes d'Allemagne nazie, et puis chez nous aussi. Ce qui nous a fait prendre la décision de creuser une tranchée pour la dizaine d'habitants qui étions là.

L'hiver 1943-1944 , la vache reste à l'écurie ,nous avions fait un stock de foin limité mais suffisant. Traire la vache, faire des fromages, et un peu de beurre, c'est ma mère qui faisait ce travail dans un espace insuffisant. Elle savait le faire, mais elle n'avait pas pratiqué depuis l'age de 14 ans, où elle faisait ça, pendant La Guerre 14-18, dans la ferme de ses parents, qui était sur l'ile de La Marche, au milieu du fleuve, la Loire : 70 hectares. Ses trois frères aînés qui devaient s'occuper de la ferme ont du partir au front, pour la grande boucherie de 14-18 . Ne restait que ma mère avec ses parents pour faire le travail. Ils avaient pris la ferme un peu avant 1910. Ils ont subi la crue de 1910 ,c'est les Glaces au dégel qui ont obstrué le pont de La Charité. L'eau est montée à un mètre environ dans les bâtiments de la ferme. 
 
Début 1944 , nous avions deux carrés de vigne. Tailler la vigne au mois de mars pour moi c'était un peu dur, et il faisait encore froid. Puis il nous fallut construire un petit hangar pour mettre le bois à l'abri à côté du jardin, bêcher le jardin, commencer à sortir la vache au bord des chemins. Tous les soirs, mon père écoutait Radio-Londres, c'était interdit. Dès la nuit, rideaux aux fenêtres, pas de lumière de l’extérieur :  « ICI Londres, les français parlent aux français », ensuite les messages «  Gabriel garde l'anonyme – L'abbé est nerveux - Lisette va bien... » Ces messages étaient destinés à chacun des groupes de résistants pour communiquer sur les stratégies d'action. Des postes émetteurs mobiles existaient pour communiquer avec Londres,en morse. Vers le mois de mai, certains soirs, nous entendions le roulement explosif de bombardement lointains. Quand ils étaient plus rapprochés, on allait se mettre dans la tranchée , le temps des détonations., Notre voisine , Mme Neuilly avait 90 Ans. Elle n'a jamais voulu aller dans la tranchée.

J'ajoute le dernier chapitre sur mon vécu en 1940 -1944 . En ce mois de mai 1944,la recrudescence des activités oblige, les ordres du père indiquent : au jardin, planter pommes de terre, piocher la vigne, garder la vache. Ence qui concerne la nourriture, il restait du porc dans le saloir. Si l'on sortait un morceau du saloir, il fallait le faire dessaler, quelques heures dans l'eau. Souvent on le mettait dans l'eau courante du ruisseau, c'était plus rapide ; ma mère me disait « Aujourd'hui, tu me tues un lapin, ou une poule ». Si on trouvait un hérisson, c'était le plat du jour , avec des haricots secs. Il n'y avait plus de poisson dans l'étang, tous les tickets d'alimentation étaient insuffisants, mais nous avions le lait et le fromage. Ce qui manquait, c’était le pain.
Je résume la famille : mon frère aîné Roland, parti en résistance en Algérie ; le deuxième Robert, parti en résistance dans l'ouest de la France , voire dans le secteur des Poches de La Rochelle ; le troisième Roger , qui travaille dans les fermes alentours, se dissimule pour éviter le STO. Moi, du haut de mes 13ans, j’ai ordre de faire ce dont j’ai parlé ; ma soeur Marguerite a 10 ans et le dernier, Jean a 5 ans. 

L’année dernière, l’annonce de l'horrible bataille de Stalingrad faisait supposer que le destin de la guerre changeait de tournure. Cela restait dans les esprits, bien qu'en ce mois de 1944, l'atmosphère de notre France occupée pesait lourd dans nos têtes. On ignorait l'étendue et la férocité de la torture des maquisards les conduisant à la mort et à la déportation, et pas que les maquisards ; certains jours, les vagues de bombardiers américains passaient au-dessus de nous avec leur bourdonnement habituel. La cible était les villes d'Allemagne, puis il y avait aussi les villes du nord de la France. Et plus comme à Lyon, le matin du 26 mai, où pendant 25 minutes, ce sont 1 500 bombes sur quatre endroits de Lyon. Mais à 4 000 m d'altitude,c'est bombarder à l'aveuglette : plus de 700 tués, plus de 1 000 blessés ! La Gare de Perrache n'a pas reçu de bombe, ce n'est pas le cas des abris de la place Jean Macé. Raymonde, qui a été mon épouse avait 11ans . Elle se trouvait place Jean Macé. Au lieu d'aller dans les abris, elle s'est sauvée chez ses parents rue de l'université, ce qui lui a sauvé la vie ( si vous tapez sur votre ordinateur « Bombardement du 26 mai 1944 »  il y a des détails . )

Si les villes étaient bombardées avec une intensité désastreuse ça signifiait que le 6 Juin venait d'arriver, avec le débarquement des troupes alliées. La Bataille de France était engagée, malgré le pilonnage du mur de l'Atlantique. La percée a été plus difficile que prévu, et les pertes assez considérables pour prendre pied en Normandie. Chaque soir, nous étions à l'écoute de Radio Londres, tous les messages diffusés enclenchaient l'action des maquis, pour commencer le début de la libération du territoire. L'ennemi ne se retirait pas sans commettre des atrocités, aidé par la milice de Pétain qui par ses exactions additionnait les tués et les blessés. Ce matin du 9 juillet 1944, surprise ! Une bataille aérienne au-dessus de nos têtes ; un avion anglais pourchasse un avion boche de la Luftwaffe à la mitrailleuse dans le sens Sud Nord ; environ une minute après, les revoilà sens Nord Sud avec le crépitement de la mitrailleuse. Dans les secondes qui suivent, ça fume, l'avion boche perd l'aile droite, ça le dévie à gauche presque à angle droit pour s'écraser en flammes, directement entre les deux bâtiments de la ferme de Mr Moledon, sur la commune de Beffe. Son fils a été blessé à la tête et au bras par des jets de débris.

Avec Mon Copain Pipine, on a été voir en courant, nus pieds, les débris fumants de l'avion étaient étalés sur 150 m ou plus. De temps à autres, des explosions de munitions qui restaient dessous, soit disant le pilote était dessous. Aussi, nous ne sommes pas restés longtemps, car nous craignions de voir arriver des gens de la Werrmacht. Pendant ce Temps, les armées avec la Résistance libèrent la Bretagne , le Nord de la France. Le 15 août, américains et français débarquent en Provence, le 25 août Paris se libère. C'est la joie pour beaucoup de monde, mais la guerre continue pour libérer le reste de la France, et poursuivre l'occupation de l'Allemagne jusqu'à la capitulation des troupes nazies à Berlin le 8 Mai 1945. Nous nous sentions soulagés après ces années d'occupation. 

En 1948, je suis parti travailler dans les fermes du Berry, à Poussy, Etrechy, Groize comme ouvrier agricole. En 1950, j'ai rejoint l'armée d'occupation française en Allemagne pour 18 mois : instruction au camp de Renchen, service ravitaillement essence, ensuite à Svaeh Trier Ander en Moselle. J'ai été libéré le 7 avril 1953.

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