Interview par l'humanité de Fabien Roussel
Le
jour d’après la crise sanitaire s’annonce comme celui de la crise
économique. Le gouvernement a évoqué d’éventuelles nationalisations, la
reloca
lisation de certaines productions ou encore des dispositifs
d’aide. Est-ce à la hauteur ? Quelles politiques proposez-vous pour éviter chômage et précarisation de masse ?
Fabien Roussel. Emmanuel Macron fait mine de
découvrir le rôle de l’État et des services publics ! Cette crise
sanitaire révèle en fait tout ce qui nous manque pour faire face à une
telle pandémie : une industrie puissante, des services publics et un
État forts avec des marges budgétaires pour agir. Le capitalisme a
considérablement réduit le rôle de l’État, affaibli nos services publics
et en même temps encouragé la délocalisation des entreprises, notamment
dans la production de médicaments. Il faut donc rompre avec ces
logiques d’austérité et de rentabilité financière, et préparer dès
maintenant un nouveau modèle économique, social, écologique. L’idéal
communiste est plus que jamais d’actualité. Nous voulons une société
dans laquelle l’État joue tout son rôle, avec des services publics
renforcés et une vie démocratique rénovée jusque dans les entreprises,
avec de nouveaux pouvoirs pour les salariés. Par la relocalisation de
notre industrie, nous devons retrouver la maîtrise des grands secteurs
stratégiques du pays, aujourd’hui vendus au privé, relancer la
recherche, bref, retrouver notre souveraineté économique. Chaque citoyen
doit être protégé tout au long de sa vie, de l’école jusqu’à la
retraite, avec un travail et un salaire digne. Chacun doit pouvoir
trouver sa place dans la société. L’être humain, c’est la priorité !
L’Union européenne a suspendu sa règle d’or budgétaire.
Craignez-vous le retour d’une austérité accrue ensuite et quelles
ruptures faut-il opérer à l’échelle de l’Union ?
Fabien Roussel. La situation montre le besoin de
coopération à l’échelle du monde et de l’Europe. L’Union européenne a
certes suspendu provisoirement ses normes de déficits budgétaires, mais
elle ne change pas de logique. Il y a donc urgence à imposer un autre
rôle à la Banque centrale européenne et à notre monnaie : au lieu de
nourrir le capital, elle devrait servir un modèle social ambitieux,
développer les services publics, l’emploi et les salaires, pour
organiser, à l’échelle du continent, un vaste plan de reconquête
industrielle. C’est possible en mobilisant les liquidités de la BCE sur
des fonds dédiés à l’emploi, aux services publics, au développement de
filières, plutôt que sur les marchés financiers comme c’est aujourd’hui
le cas.
Les services publics sont en première ligne pour lutter
contre l’épidémie. Quelles leçons en tirer pour le « jour d’après » ?
Comment les financer ?
Fabien Roussel. Aujourd’hui, de nombreux services
publics montrent toute leur utilité. Heureusement qu’ils sont là. Il est
possible, tout de suite, de financer leur reconquête : 15 milliards par
an de cadeaux fiscaux ont été accordés aux plus riches et aux
multinationales. Rétablir l’ISF, supprimer la flat tax, revenir sur les
exonérations de cotisations accordées sans contrepartie, c’est possible
tout de suite. Cela permettra de financer l’hôpital public à hauteur de
10 milliards d’euros. Nous proposons aussi de taxer les dividendes du
CAC 40 à 75 % pour dissuader les entreprises de les verser. Cela
pourrait alimenter un fonds en faveur des PME-TPE.
L’état d’urgence sanitaire a conféré de nombreux
pouvoir à l’exécutif et les experts ont pris une place prépondérante.
Quels changements démocratiques faut-il concevoir ?
Fabien Roussel. La mobilisation indispensable de la
nation appelle au contraire un grand élan démocratique, permettant au
Parlement, aux forces sociales et politiques de jouer pleinement leur
rôle jusque dans les territoires. Nous appelons depuis longtemps à
l’émergence de nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises et
dans les services publics. Si, dans les régions, les ARS étaient
démocratiques, si dans leur entreprise les salariés étaient écoutés et
disposaient de vrais pouvoirs, croyez-vous qu’on aurait pu supprimer
100 000 lits d’hôpitaux, que des délocalisations aussi nombreuses
auraient pu être opérées pour le seul profit des actionnaires ?
Vous avez appelé, ces derniers mois, au rassemblement
de la gauche, contre la réforme des retraites comme pour les élections
municipales. Les défis à relever face à cette crise rendent-ils plus
prégnante cette exigence ?
Fabien Roussel. Pour imposer de grands changements,
le rassemblement de toutes les forces disponibles est toujours une
nécessité. Il doit toutefois reposer sur des contenus exigeants, non sur
les plus petits dénominateurs communs, sous peine de grands échecs. Et
il ne doit pas se concevoir comme une construction de sommet, réduite
aux dirigeants des partis. La mobilisation de l’ensemble des forces
sociales, politiques, intellectuelles est indispensable. Les ruptures
nécessaires pour sortir du modèle actuel font encore l’objet de débats,
voire de désaccords. Il convient de les aborder franchement et
publiquement, en faisant en sorte que notre peuple, et particulièrement
le monde du travail et de la création, s’en empare. Aujourd’hui, nous
souhaitons qu’un large débat s’ouvre sur les exigences mises
immédiatement à l’ordre du jour par la crise sanitaire, ainsi que sur le
nouveau modèle de production et de consommation dont l’humanité a le
plus urgent besoin.
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